La mise en mouvement du réel

La mise en mouvement du réel

Il semblerait que toute l’histoire des découvertes scientifiques quant à l’univers physique soit celle d’une mise en mouvement du réel. Après des siècles de stabilité, voilà soudain que la Terre tournait autour du soleil, puis que notre système solaire dansait aux confins d’une galaxie qui elle-même virevoltait dans un cosmos qui, bien que fini, ne cessait de s’étendre. Il n’y a pas jusqu’à l’infiniment petit qui ne se mît à vibrer : ici l’ellipse des électrons autour de leur noyau, là les ondes de la lumière qui voyagent plus vite que nous ne le ferons jamais, sans parler de la physique quantique qui voudrait nous faire croire que, non seulement, le chat dans la boîte est à la fois mort et vivant tant que nous ne l’avons pas ouverte, mais également que les particules sont partout à la fois tant que nous ne les observons pas.

Qu’en est-il des découvertes quant à la Vie ? S’est-elle mise en mouvement à mesure que nous apprenions à la comprendre, au même titre que la matière des physiciens ?

« Ainsi, qu’il s’agisse du dedans ou du dehors, de nous ou des choses, la réalité est la mobilité même. C’est ce que j’exprimais en disant qu’il y a du changement, mais qu’il n’y a pas de choses qui changent.

Devant le spectacle de cette mobilité universelle, quelques-uns d’entre nous seront pris de vertige. Ils sont habitués à la terre ferme ; ils ne peuvent se faire au roulis et au tangage. Il leur faut des points « fixes » auxquels attacher la pensée et l’existence. Ils estiment que si tout passe, rien n’existe ; et que si la réalité est mobilité, elle n’est déjà plus au moment où on la pense, elle échappe à la pensée. Le monde matériel, disent-ils, va se dissoudre, et l’esprit se noyer dans le flux torrentueux des choses. – Qu’ils se rassurent ! Le changement, s’ils consentent à le regarder directement, sans voile interposé, leur apparaîtra bien vite comme ce qu’il peut y avoir au monde de plus substantiel et de plus durable. Sa solidité est infiniment supérieure à celle d’une fixité qui n’est qu’un arrangement éphémère entre des mobilités. »

La pensée et le mouvant

Henri Bergson